L’illettrisme financier est devenu endémique dans les entreprises. Six ans après le début de la crise financière mondiale, l’illettrisme financier demeure endémique dans le monde de l’entreprise, une situation dangereuse dont les écoles de commerce sont en partie responsables. Ces écoles ont d’ailleurs contribué directement à la crise de 2008, non pas parce qu’elles enseignaient trop de finance, mais parce qu’elles ne l’enseignaient pas assez. Au lieu de considérer la finance comme l’un des piliers de toute entreprise, à l’instar du leadership, de l’innovation ou de la stratégie, de nombreuses écoles n’y voyaient qu’un sujet technique spécialisé. Cette approche restrictive de la finance a entraîné un manque de connaissances financières et compliqué la tâche aux gestionnaires financiers ainsi qu’aux administrateurs indépendants lorsqu’il a fallu faire face aux effondrements qui se sont produits avant et pendant la crise. Six ans plus tard, il est urgent que les écoles de commerce commencent à former une nouvelle génération de cadres disposant de connaissances plus solides dans le domaine financier, mais elles sont peu nombreuses à le faire. Beaucoup de cadres continuent d’ignorer les conséquences financières de leurs décisions. Il est fréquent que des cadres même expérimentés et dont les responsabilités ont une incidence sur les résultats financiers ne sachent pas distinguer les notions de profit et de liquidité, ni faire la différence entre un bilan et un compte de résultats. La majorité des cadres ne connaissent pas le coût du capital de leur entreprise, comme l’ont révélé mes propres enquêtes menées ces dernières années auprès de plus de 1000 cadres avant qu’ils n’entament un programme à l’IMD. Trop de responsables recherchent la croissance de manière obsessionnelle et détruisent la valeur de leur entreprise, souvent par le biais de fusions et d’acquisitions peu judicieuses, sans analyser correctement si les profits excéderont le coût du capital. Les cadres qui ne comprennent pas la finance mettent en péril leurs propres perspectives de carrière et préparent de futures catastrophes pour leur entreprise. Ils ne sont pas capables de discuter des performances financières et des décisions d’investissement avec les divers services internes: exploitation, marketing, ressources humaines, service informatique, et ne sont pas disposés à poser les questions importantes qui pourraient leur permettre d’éviter de mauvaises décisions. Les écoles de commerce doivent mettre en avant le fait qu’une culture financière constitue un bagage indispensable pour les cadres de tous les échelons, et pas uniquement pour les directeurs financiers, les comptables ou les trésoriers. Les écoles de commerce peuvent réellement exercer un impact en encourageant les cadres à mettre en pratique les concepts enseignés dans leur travail quotidien. Il s’agit d’utiliser ces concepts dans leurs prises de décisions concrètes et de comprendre les répercussions financières des nombreux choix managériaux. Les cadres devraient notamment porter une attention particulière aux principes de la gestion fondée sur les flux de trésorerie. La valeur actuelle des actifs doit correspondre aux flux de capitaux futurs attendus. La crise financière nous a montré ce qu’il advient lorsque ces principes sont ignorés. Armés de cette compréhension, les cadres de tous les échelons sauront prendre des décisions plus avisées en matière d’investissements, de financement, de gestion des risques, d’équilibrage entre croissance et profitabilité, et ils comprendront mieux les coûts qu’implique une structure de capital inadéquate. En outre, les écoles de commerce doivent former les spécialistes financiers à interagir bien plus efficacement avec le reste de l’entreprise et à faire le lien entre les aspects financiers et la stratégie globale de l’entreprise. Dans cet objectif, elles pourraient proposer aux cadres financiers plus de programmes visant à développer des compétences utiles pour le partenariat en entreprise, telles que le leadership, la communication et les compétences interpersonnelles. Mais la priorité principale des écoles de commerce doit être d’élever le niveau général de la culture financière au sein des entreprises, afin que les cadres comprennent mieux les risques qui découlent de mauvaises décisions. La finance possède son propre langage. Si les cadres ne commencent pas à apprendre ce langage aujourd’hui, leur emploi et leur entreprise pourraient être menacés demain. Les prochaines décennies devraient voir les progrès de l’alphabétisation se poursuivre et une proportion toujours plus importante de la population mondiale apprendre à lire et à écrire. La culture financière est tout aussi cruciale pour la prospérité future et les écoles de commerce doivent intensifier leurs efforts afin de promouvoir cet apprentissage. Nuno Fernandes - Professeur de finance à l’IMD Cet article a été publié sur le site internet du «Financial Times», www.ft.com Le Temps - publié mardi 28 octobre 2014 par Nuno Fernandes - professeur de finance à l'IMD
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